Super Maïca – 1965 – ILLINGWORTH & PRIMEROSE
Corina
Les Super Maïca, ces voiliers majestueux, ne se contentent pas de dompter les flots agités de l’océan. Ils explorent aussi les profondeurs de l’âme humaine, dévoilant l’insaisissable et l’essentiel dans une danse harmonieuse entre le vent et la voile. Corina est labellisé Bateau d’Intérêt Patrimonial depuis 2016.
Jean-Philippe Massin
COrina 40 FT IlLINGWORTH & PRIMROSE
Un souffle d’aventure
C’est dans l’ombre des chantiers des Constructions Mécaniques de Normandie (CMN) que Jean Chomé, médecin anatomopathologiste émérite, insuffla la vie à un navire unique. C’était en 1964, une époque où les vents portaient encore le parfum des aventures maritimes et de la navigation à l’estime et au sextant. Ce bateau, un plan Illingworth & Primrose et le quatrième d’une série de cinq, émergea des ateliers en 1965, fier et prêt à fendre les flots. Jean le baptisa « Corina », devant Dieu et la gendarmerie, en hommage vibrant à sa fille Corinne, née deux ans plus tôt.
Savoyard de naissance, Jean s’était métamorphosé en Breton de cœur, son âme naviguant au gré des marées. Geneviève Chomé, son épouse, que j’étais parvenu à contacter, me confia : « Jean est né le 6 août 1926 à Valleiry, en Haute-Savoie, loin des horizons marins. Sa mère était savoyarde, son père Luxembourgeois. Mais ne lui dites surtout pas qu’il n’est pas Breton ! À l’âge de 13 ans, en 1939, il posa pied sur cette terre de granit, et dès lors, la mer s’insinua dans ses veines. Son premier bateau, un canot à misaine de 4 mètres, devint son refuge pendant la guerre, jusqu’au baccalauréat. Le Lycée du Kreisker à Saint-Pol, dans des conditions difficiles, forgea son caractère. Tout cela, bien sûr, n’avait rien à voir avec Corina, mais cela explique sa passion, sa découverte des courants et son attachement aux cailloux de la baie de Morlaix. »
En 1964, lorsque Jean passa commande de « Corina », il connaissait déjà la magie de la mer et des courants, des murmures du vent dans les haubans. Enfant et adolescent, il avait vogué sur son petit canot à misaine, puis exploré trois voiliers habitables. En 1963, il rejoignit l’Union des Plaisanciers Français, une confrérie de marins avides de croisières. C’est là qu’il rencontra Jean-Michel Barrault, marin chevronné, et que naquit une amitié indéfectible. Jean-Michel, habitué des courses au large (notamment à bord de Striana, un superbe plan d’Eugène Cornu de 1955), persuada Jean d’engager Corina dans la saison du RORC 1965-1966. Ils affrontèrent ensemble la « Lyme Bay Race », la « Cowes Dinard » et enfin la mythique « Fasnet », où leurs destins se mêlèrent aux vagues, où Corina devint plus qu’un navire : une part d’eux-mêmes, un souffle d’aventure.
Jean-Michel Barrault. Ce nom danse et résonne comme les flots sur l’étrave. Breton du Sud, né à Nantes en 1927, il incarne l’esprit indomptable des marins. Circumnavigateur passionné, écrivain de marine talentueux, il a laissé son empreinte sur les pages de Paris Match, de l’Aurore, du Figaro et de « Voiles et Voiliers ». Son amitié avec Jean Chomé, née des embruns et des récits partagés, devint une alliance indéfectible. Ensemble, ils donnèrent naissance à un livre « Le vade-mecum du parfait médecin », un ouvrage illustré par Piem, salué par les sommités médicales, dont le professeur Mathé.
Sous l’impulsion de Jean-Michel, Jean rassembla un équipage pour les saisons de courses de 1965 et 1966. Les membres de l’Union des Plaisanciers Français, ces marins au cœur vaillant, devinrent ses compagnons de route. Parisiens pour la plupart, ils partageaient avec Jean cette soif d’aventure salée et cette envie de ne faire qu’un avec éléments.
Ainsi, Corina, ce navire, chargé de rêves et de liberté, s’apprêtait à écrire le premier chapitre de son épopée. Les voiles gonflées par le vent, elle allait tracer son sillage sur les flots de la Manche, de la mer du Nord, de l’Atlantique et de la Méditerranée, portée par l’âme aimante et curieuse de ses armateurs successifs.
Chaque vendredi soir, la gare de Paris se transformait en un théâtre d’ombres et de lumières. Jean et son équipage, en costumes impeccables, prenaient place dans le train en direction de Cherbourg. Leurs visages, illuminés par l’excitation, reflétaient la promesse des aventures à venir. À leur arrivée, Corina les attendait, majestueuse et prête à en découdre. Ils appareillaient dans la nuit, leurs cœurs battant au rythme des vagues, pour rejoindre l’Angleterre et prendre le départ des courses à l’aube.
Le dimanche soir, après avoir franchi la ligne d’arrivée, ils mettaient le cap vers Cherbourg, luttant contre la fatigue et les éléments. C’est un train de nuit qui les ramenait à Paris, où les lundis matin se teintaient de la douce mélancolie des rêves marins.
L’équipage de Jean, composé d’amateurs-armateurs, skippers de leurs propres bateaux, se heurtait aux contraintes de la réalité. Le manque d’entraînement, des voiles mal taillées et un armement de croisière inapproprié pénalisaient sévèrement leurs performances. Jean-Michel Barrault, avec son regard de marin aguerri, observait : « Ce manque d’entraînement, outre la coupe médiocre des voiles utilisées et un armement de croisière pondéreux, explique sans doute que les résultats n’aient pas été aussi brillants qu’espéré ! (…) mais cela ne nous a pas empêchés de bien nous amuser et d’apprécier les qualités de ce voilier gréé en sloop bermudien. »
Ainsi, chaque course devenait une danse entre l’effort et le plaisir, une quête où l’important n’était pas seulement la victoire, mais la communion avec la mer et l’amitié qui se forgeait à chaque vague.
Pour mémoire, la liste d’équipage était évidemment variable, mais pour le Fastnet, la plus emblématique des courses du RORC, l’équipage était constitué de : (par ordre alphabétique des prénoms)
- Michel Labbé, excellent équipier que Jean-Michel Barrault était parvenu à « shangaier » à Striana
- Michel Perroud, champion du GCL en 1967 sur Dame D’Iroise
- Claude Bitouzet, ingénieur
- Claude Danbon, architecte, installé plus tard en Martinique
- Dany Barrault, skipper de Corsen pour Cowes-Dinard 1963, première femme à avoir commandé en course un équipage féminin
- Jean Chomé, propriétaire de Corina
- Jacques Auclair, propriétaire du magnifique plan Cornu Striana; également Président de la Fédération Française de Yachting à voile
- Jean-Michel Barrault, journaliste
Effectuer de telles courses n’était pas de tout repos (réunir les équipiers, avoir les bonnes compétences, entretenir le bateau, s’entraîner un tant soit peu), et par ailleurs Jean n’était pas un compétiteur dans l’âme. Plus attiré par la croisière que par la course. Il céda Corina trois ou quatre ans plus tard à un industriel en plomberie, pour naviguer sur un autre bateau mythique de l’époque, l’Arpège, et naviguer en Bretagne, sa mer de cœur, avec la femme de sa vie, Geneviève. Savoyarde et d’origine montagnarde, celle-ci ne connaissait rien à la mer lorsqu’ils se sont rencontrés dans la fin des années 70. Mais ces deux-là étaient faits pour se rencontrer, et Jean lui transmit cette passion qui s’entend encore quand Geneviève vous en parle. Ils naviguèrent longtemps ensemble et ne s’arrêtèrent que lorsque le poids des années ne leur permit plus de prendre le large sereinement, dans le milieu des années 2000.
On ne sait pas comment s’appelait cet industriel en plomberie et la trace de Corina se perd plus ou moins jusqu’à son acquisition par Michael Wagner et Regine Hellwig en 1999. Entre ces deux dates, l’histoire de Corina reste floue et ne se résume qu’en deux points :
– Dans le milieu des années 80, acquisition de Corina par un ancien officier de marine allemand, Hansludwig Bechtel, basé à Glückstadt. A priori, Corina hivernait alors dans un hangar.
– Avant 1980, acquisition de Corina par un pilote de la Luftansa, Karl Stender, basé à Hambourg.
– En 1999, conservant son pavillon Allemand, Corina passe dans les mains soigneuses de Michael Wagner et Regine Hellwig.
Michael est un marin, un vrai, humble et passionné devant l’immensité. Il est de ceux qui ont tout démonté pour bien comprendre, qui connaissent leur bateau par coeur et qui en ont dessiné l’hélice. Avant Corina, il avait navigué en charters (bateaux de location), sur toutes les mers du globe ou presque. En Polynésie, il a même rencontré l’un des descendants de la dynastie Pomaré qui souhaitait retrouver la couronne perdue.
Régine naviguait plus occasionnellement, mais régulièrement, sur les côtes allemandes et sur des voiliers en bois, ceci expliquant cela. Avec Michael, elle voulait un voilier racé, fin, élégant, facile à manoeuvrer, sur lequel ils pourraient vivre une bonne partie de l’année le cas échéant. Le coup de cœur pour Corina fut immédiat : pas d’expertise, juste des phalanges douloureuses à force de toquer sur la coque pour en vérifier l’état.
Alors basé à Hambourg, ils le mirent sur un camion pour le remettre à l’eau à Marseille. De là, et pendant 15 ans, ils ont profité du soleil et des eaux turquoises du bassin méditerannéen, à raison d’environ 3 mois par an :
- 1999 : Marseille – Corse – Elbe – Punta Ala, Italie (jusqu’en 2001, dans le port de plaisance)
- 2000 : Îles pontiques, Capri, Sardaigne, Corse, Elbe, Punta Ala
- 2001 : Iles Eoliennes, Sicile, Îles ioniennes, Mer Egée, Marmaris (Turquie)
- 2002–2007 : Côte turque et Mer Egée
- 2008 : Marmaris – Chalcidique
- 2009 : Chalcidique – Corfou
- 2010 : Corfou, Péloponnèse, Mer Egée, Marmaris
- 2011 : Marmaris – Crète
- 2012 : Dodécanèse, Mer Egée, Saronique, Aegean, Marmaris
- 2013 : Dodécanèse, Mer Egée, Marmaris
- 2014 : Dodécanèse, côte turque, Marmaris
- 2015 : côte turque, Dodécanèse, Marmaris
En mai 2016, après plus d’un an de recherches, Corina est apparue dans ma vie. Ce n’était pas simplement un bateau, mais une entité vivante, un témoin silencieux des aventures passées. Corina, ce voilier, qui avait traversé tant de tempêtes et de moments de grâce, allait désormais m’emporter avec lui sur la ligne de l’horizon.
Corina, née des mains expertes des Chantiers Mécaniques de Normandie en 1965, avait été baptisée en hommage à la fille de Jean Chomé. Elle avait navigué sous différents cieux et portait en elle l’énergie folle des souvenirs de chaque marin qui avait eu le bonheur de la commander.
Corina n’est pas seulement un voilier, mais un compagnon d’aventure et un témoin unique des temps passés. Chaque latte de son pont en teck d’origine raconte une histoire de courage et de passion.
En l’acquérant, je ne faisais pas que devenir propriétaire d’un navire ; je devenais le gardien de son héritage, le continuateur de ses aventures.
Mon programme de navigation à date :
2016 – Corina m’accueillit pour deux semaines de navigation en juin avec Michael Wagner et Thomas Muller. Ensemble, nous avons exploré Marmaris, Rhodes, Karpathos, Halki, Simi, Bozburun, et sommes revenus à Marmaris. En juillet, toute la famille était réunie pour nos deux premières semaines de voile le long de la côte turque, chaque vague portant en elle des souvenirs précieux.
2017 et 2018 – Corina nous emporta dans le Dodécanèse, en famille, pour longer avec délice une côte turque sauvage et inhabitée et pourtant tellement hospitalière. Ces années, sous un soleil de feu, nous ont marqués au fer rouge.
2019 – Corina nous mena à travers le Dodécanèse et Rhodes en famille. De Rhodes à Kos avec Arnaud Guinhut, puis de Kos à Milos avec Arnold Aumasson et Thomas Müller. De Milos à Finikounta (Grèce) avec Thomas Müller, puis de Finikounta à Malte et Licata (Sicile) avec Thomas Müller, Christian Clouet et Charles Henry Ferragu. Chaque escale était une nouvelle page de notre histoire commune.
2021 – Corina entreprit un voyage épique de Licata (Sicile) au Pouliguen (France) avec Raphael Tisseau, Laurent Polet et Dominique Boutet. Nous avons traversé la Sardaigne, les Baléares (Minorques, Ile aux Chèvres, Ibiza), Carthagène (Espagne), Gibraltar, Faro (Portugal), Cascaïs, Porto, Aviles et l’Ile-d’Yeu. Chaque port d’attache était une nouvelle aventure, chaque mer traversée un nouveau défi.
2022-2023 – Corina se reposa et se régénéra au chantier de Cordemais, où elle reçut les soins nécessaires pour continuer à naviguer avec grâce et robustesse.
2024 – Corina se prépare à participer aux “Voiles de légende” du Yacht Club de La Baule, prête à écrire un nouveau chapitre de son histoire glorieuse.
Pour le plaisir des yeux. Trois photos de 1965. Elles ont été prises par le célèbre photographe de marine anglais Beken de Cowes durant les courses du RORC :
QUELQUES CHIFFRES
Super Maïca
longueur de coque
Largeur
tirant d’eau
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